Vous pouvez trouver mon dernier roman "Les lauzes de Jujols" aussi chez Amazon, au cas où votre libraire ne l'aurait pas encore.
Pourquoi écrivez-vous ? Vaste et éternelle question. J’ai besoin d’écrire comme j’ai besoin de respirer. Dès que je me mets devant mon ordinateur, l’inspiration me vient pour écrire quelquefois pendant plusieurs heures. Tout se passe comme si toutes les pages que je n’avais pas rédigées pendant cinquante ans ressortaient naturellement. Je possède un « réservoir » dans lequel je puise, sans en connaître ni le fond ni les contours. Les meilleurs moments apparaissent lorsqu’une nouvelle idée vient naturellement se poser sur mon écran sans l’avoir anticipée le moins de monde : c’est ce qu’on appelle le miracle de l’écriture ; une sensation de plénitude absolue qui vous font toucher l’alchimie du cerveau humain.
Au-delà, je pense que l’on écrit pour, avant tout, être lu. Mon objectif n’est pas de gagner ma vie avec la littérature, mais de donner à mes lecteurs un petit peu de cette émotion que nous partageons ensemble à travers mes livres.
Quels sont vos genres littéraires favoris ? J’aime avant tout le roman classique qui décrit une fiction pure. Je me suis essayé au roman policier, au thriller, à l’anticipation et au fantastique, mais mon style préféré se situe dans la lignée de mes maîtres : Cendrars, London, Gary, Irving, Murakami, Tropper, Soljenitsyne. Dans mes livres, le voyage est souvent présent, comme un chemin qui mènerait l’intrigue à sa destination en passant par des contours inattendus, détours nécessaires pour exacerber la psychologie de mes personnages.
Quels sont vos thèmes littéraires favoris ? Je ne peux pas dire que j’ai des thèmes favoris, si ce n’est ceux que la vie m’a fait partager à travers mes nombreux voyages et les riches rencontres que j’ai pu faire au cours de ceux-ci. Je pars généralement d’un personnage que j’ai connu et qui m’a marqué, pour, ensuite, inventer une histoire. C’est la psychologie du personnage qui me guide vers des horizons que je n’avais pas imaginés au départ, même si une première trame était présente à mon esprit.
Comment est apparu le thème de votre dernier livre : « Les lauzes de Jujols » ? Je suis parti d’une histoire vraie : celle du petit village de Jujols qui a été ressuscité par un animateur de banlieue parisienne. Féru de randonnées en montagne, j’ai découvert cette perle en allant visiter les gorges de la Carança. A partir de là, j’ai inventé toute l’histoire : celui d’un village maudit qui va reprendre vie à mesure que ses sauveurs vont exorciser leur passé douloureux. L’animateur, qui vient de vivre un épisode tragique, va rencontrer une SDF et un Compagnon du Devoir qui ont tous les deux traversé des épreuves difficiles. Ensemble, ils vont se reconstruire en faisant revivre Jujols et en résolvant l’énigme du bannissement du petit bourg, bannissement lié à certaines légendes catalanes.
Pourquoi ce thème vous tenait-il à cœur ? J’ai toujours trouvé l’histoire de Gilles remarquable. Quelqu’un de la trempe de Coluche, quelqu’un qui n’a pas hésité à aller jusqu’au bout de ses idées, comme l’amuseur public a pu fonder les « Restos du Cœur ». J’aime et j’admire ce type d’hommes (au sens de l’humanité) qui n’écoutent pas les conseils de ceux qui ont peur, de ceux qui renoncent à la première difficulté ou qui se cachent derrière leurs belles âmes. De plus, Gilles est un personnage attachant, un amoureux et un dévoreur de la vie. Je me suis un peu inspiré de lui pour mon personnage, tout en lui donnant d’autres facettes.
Envisagez-vous une suite ? A priori, non. Mais, on ne sait jamais. Peut-être qu’un jour le personnage me rattrapera vers une autre aventure. La vie et la littérature sont ainsi faites.
« Empoisonnement à l’aconit masqué par de l’anis sauvage. Le rapport de la police scientifique est formel : tous les squelettes découverts présentent le même symptôme. L’hypothèse la plus probable réside dans l’eau de la source qui alimentait alors le village. Celle-ci aurait été corrompue par le mélange mortel. Un des enquêteurs venus sur place a découvert les restes d’un vieil arrosoir, tout rouillé, en amont du bourg, dans une petite retenue d’eau. Selon lui, il aurait été rempli du poison qui s’est rapidement distillé dans le corps de tous les habitants ayant bu l’eau de la source.
Un jour à peine après la diffusion du rapport, ce que je craignais finit par arriver : un reporter de Paris- Match débarque, accompagné de Laurel et Hardy qui, pour l’occasion, ont revêtu leurs habits de gala, arborant un képi tout neuf et des décorations que je ne leur avais jamais vues porter auparavant.
- Alors, voilà le village ressuscité qui recrache ses squelettes. C’est vous Gilles, le sauveur de Jujols ?
- Oui, c’est moi.
J’essaie de prendre le ton le plus désagréable possible pour tenter de calmer ses ardeurs.
- Vous allez me raconter votre histoire car je trouve formidable le peu que l’on m’en a dit. Mais avant tout, voyons ces squelettes, mes lecteurs vont adorer.
- Avant tout, à mon tour, je souhaite que les choses soient claires entre nous.
- Ceci vous honore. »
« Le son des clochettes suspend ma méditation : au loin, un berger monte à l’estive avec quelques brebis disséminées. Il se dirige vers le village de sa démarche de montagnard, lente et rythmée. Coiffé du béret catalan, il s’appuie sur son bâton : un pèlerin et son bourdon. Je m’avance vers lui avec l’intention de lui demander des renseignements sur ce hameau visiblement abandonné. Alors que ses pas le menaient directement vers moi, il fait un signe de croix et prend un chemin de traverse à peine dessiné dans l’herbe séchée par un été trop sec. J’agite mes bras, mais il m’ignore de sa superbe campagnarde. Je dois accélérer pour arriver à sa hauteur.
- Je suis de passage et souhaiterais des renseignements sur ce village.
- Dimonis, dimonis. Dessort, desgracia. Satani.
- Vous ne parlez que le catalan ?
- Dimonis. Arrere, arrere satani.
Il continue sa route sans un regard et menace le petit hameau de son gourdin brandi, sceptre démoniaque et vengeur. Son mégot éteint se balance au gré de sa marche et ses yeux exorbités fusillent le village d’éclairs enflammés. Seuls ses moutons continuent leur route, imperturbables, broutant de-ci de- là une touffe qui dépasse imprudemment du pré. »
La petite plongée que je viens d’effectuer dans l’œuvre de Patrick Modiano m’a rendu à la fois plus modeste et encore plus perplexe. L’écriture est simple, l’emploi du passé composé très inattendu, les répétitions des « je » et des « et » renforcent le caractère « oral » de son style. Tout ceci est évidemment voulu et s’avère le résultat d’un énorme travail qui restitue aux romans une atmosphère désuète, étrange et pénétrante. Tout réside dans le choix des mots, dans la construction de phrases souvent à l’actif, dans ces répétitions que le moindre animateur d’atelier littéraire condamnerait (et dont Philippe Djian s’est largement inspiré).
Comme quoi, un vocabulaire simple, un style dépouillé et presque « oral », peuvent vous donner le prix Nobel.
Les choses de la vie
Lorsqu’elle me regarda, une présence m’enveloppa immédiatement, une âme me transperça. J’avais déjà caressé cette mèche érotiquement rebelle, j’avais déjà répondu à ce sourire entendu et si prometteur, je m’étais déjà plongé dans ces yeux mirabelle. Ma chair reconnaissait cette chair, ma peau se souvenait de son toucher, mes oreilles de sa voix, mais mon esprit n’arrivait pas à se rappeler ni son nom ni les circonstances de notre passé commun. Je restais là, immobile, à la regarder ; elle me rendait la pareille comme si elle tentait de se remémorer nos aventures. Ne sachant plus quelle attitude prendre, je partis brusquement, la laissant dans l’expectative, assise sur cette chaise, seule au milieu de la pièce.
Je retournai chez moi pour tenter d’oublier cette vision dans le travail que je devais terminer absolument ce soir-là. Il n’en fut rien : chaque objet, chaque miroir, chaque ombre me renvoyaient son image diaphane et si présente, aérienne et si réelle. Même lorsque je me forçais à fermer les yeux, elle arrivait à percer mes paupières, à imprimer mon cerveau comme un tag indélébile sur le mur de mes souvenirs. Je ne dînai pas, me contentant de quelques verres de vin dans lesquels j’espérais trouver la solution à mes interrogations. L’alcool ne fit qu’embrouiller mon esprit qui butait inlassablement contre le rempart de ma mémoire. La télévision allumée dans un réflexe désespéré ne m’aida en aucune manière ; au contraire, le reflet de mon inconnue occupa tout l’écran dans lequel les restes d’un western essayèrent de continuer leurs chevauchées pathétiques. L’héroïne d’un livre pris au hasard se transforma au bout de quelques lignes en mon égérie et mon entendement s’envola de la page pour rejoindre mes pensées. De guerre lasse, je partis me coucher, la bouche pâteuse et l’intelligence en compote. Le sommeil ne vint pas : la belle était dans mon lit, nue et offerte. Je sentis sa chaleur inonder ma cuisse et son corps se frotter contre le mien. Elle me regardait du plafond comme d’un miroir espiègle, elle arrivait de la salle de bains en tenue légère, elle me caressait de son toucher magique qui faisait frissonner ma peau, elle était sur moi, elle était en moi...
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES VACHES ?
La vache connait son berger,
pas son propriétaire
Proverbe Amharique
Il est des moments privilégiés dans la vie comme les derniers pas de l’ascension d’une montagne. Quelque chose se termine et une autre commence, le temps s’arrête quelques instants pour devenir quantique. J’ouvre mon sac à dos, sort le repas de midi et commence à le partager avec mon fils Romain. La nourriture est banale, jambon, fromage et quelques gâteaux secs. Mais au-dessus de deux mille mètres d’altitude, une piquette devient nectar et un vulgaire pâté de campagne a la saveur du meilleur des foies gras. Nous sommes au sommet du grand Péric, nous voyons devant nous les lacs de Bouillousses et au-delà le pic du Carlit, point culminant du Capcir. Ce dernier flirte avec les trois mille mètres mais ne les atteint pas au grand dam des pyrénéens orientaux locaux. Le ciel est lumineux, on voit jusqu’à l’Aneto à droite et le Canigou déploie sa majesté du côté de la méditerranée. Nous dégustons en silence, n’étant pas d’un tempérament bavard, surtout en montagne. Le paysage se suffit à lui-même et toute parole ne serait que réductrice pour le graver à jamais dans nos neurones. C’est la fin aout et il reste encore quelques névés, l’hiver précédant ayant été très neigeux, surtout en mars comme c’est souvent le cas au pays de Pyrène. Un aigle plane au-dessus de nos têtes pour soudain piquer derrière un éperon rocheux. Dans la vallée, sous les deux Péric, les vaches se régalent de cette herbe d’alpage si verte et si riche. En les observant, on se remémore en riant l’attaque sournoise d’une jeune vache qui, alors que je passais près d’elle sans le moindre soupçon d’ironie, m’a encornée et jetée à terre en beuglant méchamment. L’ais je regarde de travers ? Portais-je une couleur défendue par le code de ces mammifères ? Avais-je empiété sur son espace vital ? Depuis je me méfie de ces animaux imprévisibles surtout s’ils sont jeunes et fais un petit détour au moindre regard de travers...
La face cachée de mon âme
Je naviguais sur le lac des Songes, conduisant la barque que j’avais péniblement assemblée, près du cratère de Humboldt, à l’aide des matériaux de fortune récupérés des restes d’astéroïdes qui tombaient régulièrement en un geyser de poussière. Le balancement de mon embarcation épousait le rythme de mes rames, dans une résonnance qui m’emplissait de sérénité et de bonheur. Le silence n’était troublé que par le clapotis des vaguelettes de poudre d’or qui s’échouaient sur la légère coque pastel de mon esquif, en un écho assourdi. À l’horizon, un astre indigo se détachait de la surface mordorée qui m’entourait, éclairée par un soleil permanent. Celui-ci jouait des ombres chinoises avec les nombreux cratères qui parsemaient mon chemin. Je voguais dans un tableau de Rembrandt au clair-obscur élégant. Bientôt la Terre se lèverait à la verticale comme une planète Majorelle enveloppée par la brume ouatée de ses vapeurs océanes. J’étais à la fois heureux et impatient. Je sentais le battement de mon cœur retentir dans toute ma poitrine, car, pour la première fois, j’allais passer de l’autre côté de la lumière : j’allais explorer la face cachée du satellite qui m’accueillait. J’avais longuement hésité avant de décider de sillonner ce monde inconnu, sur lequel les légendes les plus inquiétantes et les plus folles circulaient dans le petit monde feutré du système solaire. Je connaissais bien l’étendue que je traversais, j’avais déjà vogué sur la mer des Humeurs, celles des Écumes et des Vapeurs, j’avais escaladé le cratère Tycho et le mont Pilatus, mais n’avais jamais osé m’aventurer derrière cette ligne où le soleil ne venait jamais. Une excitation ambiguë envahissait mes sens, en même temps qu’une appréhension trouble m’enivrait de ses émanations...
BIO : À 70 ans, ancien ingénieur de l’industrie spatiale, expert en pilotage de satellites, auto-entrepreneur consultant en innovation et stratégie produit, Gérard Muller, consacre son temps libre à ses deux passions : l’écriture de romans et le golf. Il explore les différents genres littéraires, du thriller au roman psychologique. Il a déjà publié 35 romans et 3 recueils de poésie, 2 recueils de nouvelles, 1 essai et 2 pièces de théâtre qui sont tous présentés sur ce site Internet.
Il a reçu de nombreux prix de poésie, et 4 prix littéraires pour ses romans.
Il est directeur de la collection Littérature des éditions Un Autre Regard.
Il est membre de l'académie des livres de Toulouse, de la Société des Artistes et Poètes de France.
L’amour du vin
Je respire le sous-bois et l’humidité des feuilles,
La brume alcoolisée m’enivre doucement.
Je suis le verre, un reflet de bougie,
Le grenat d’un Merlot que nous partageons ensemble.
Un clair-obscur Syrah éclaire ton visage,
Je sens que tu me devines d’un fumet de cassis,
De la pierre à fusil illumine tes yeux,
Je suis ton Chardonnay mordoré de désir.
Mon sourire te caresse et le nectar me transperce,
Un frisson d’amour nous relie tous les deux,
Je suis le vin que tu bois sur mes lèvres trempées,
À la cuisse amollie et la rondeur divine.
Rosée d’un matin sur un cristal diaphane,
Ton palais devine mon impatience,
Mon premier bouquet a le goût du printemps.
Je suis long dans ta bouche,
Tu m’allonges sur ta couche,
Le vin décuple mes ardents baisers,
L’odeur de la paille avive nos émois.
Je suis en toi et tu t’enroules,
Liane amoureuse d’un céleste transport,
Nos sens explosent d’un champagne rosé,
Et ses bulles nous inondent d’une extase aérienne.
La bouteille est vide et nos corps sont repus,
La douce ivresse se repose alanguie
Et je rejoins ma vigne toujours recommencée.
Quand le vin est tiré, il faut toujours le boire.